
22 octobre 2016
GRANDE TERRE, L'OUEST ET LE SUD
Nous donnons maintenant un coup d'accélérateur en direction du Grand Sud où nous retrouvons avec joie le rouge intense de la latérite, cette terre ferrugineuse et riche en nickel. Une erreur d'itinéraire nous mène à Prony par une route scabreuse composée à part égale de chemin et de trous ! Une petite erreur d'aiguillage, certes, mais qui se révèle être une chance formidable car c'est probablement la plus belle route que nous ayons parcouru sur le Caillou. Grace à Robin, Tata Monique zigzague vaillamment sur la terre safranée, soulevant des nuages de poussière qui viennent recouvrir les arbustes endémiques. Nous cheminons dans des panoramas à couper le souffle jusqu'à atteindre le petit village abandonné de Prony où nous nous octroyons une belle promenade.
Nous restons dormir non loin et, au petit matin, marchons dans le parc naturel N'Doua qui est un condensé des paysages du Sud : latérite cuivrée, collines arborées, lagon et îlots paradisiaques... on admire, on contemple, on se gorge des beautés de la Terre.
Nous sommes en revanche un peu déçus de la route qui mène jusqu'à Yaté et que l'on nous avait largement recommandé. En dehors des imposantes chutes d'eau de Goro, cette étape ne regorge pas vraiment de trésors.

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Nous quittons la côte Est via la Koné-Tiwaka, itinéraire conseillé par nos compagnons de camping rencontrés la veille. Ça ne manque pas, cette route est magnifique et serpente sur la Chaîne en dominant une vaste vallée couverte de forêts denses à perte de vue.
L'arrivée à Koné sur la côte Ouest, nous fait comme un choc culturel. A l'Est, nous avions vite attrapé le virus de saluer tout le monde car chacun se faisait un devoir d'y répondre chaleureusement mais ici on nous ignore royalement quand on ne nous prend pas pour des fous ; la forêt humide a disparu, remplacée par de vastes plaines à la végétation émaciée ; les petites épiceries tenues par des kanaks à l'arrière de leurs maisons se transforment en centres commerciaux remplis de Caldoches, de musique et de publicité. Bref, il n'y a plus de doute, nous avons bien quitté les terres kanaks.




Nous descendons cette côte Ouest un peu machinalement car elle nous séduit moins que sa voisine de l'Est et, lorsque l'opportunité s'offre à nous de repiquer vers le cœur de la Chaîne pour passer une nuit en tribu, nous n'hésitons pas ! Après 25km de sentiers labyrinthiques, nous arrivons chez Edouard, membre éminent de la tribu Gohapin qui, avec plus de 700 habitants, est l'une des plus peuplées du Caillou.
Nous l'avons déjà dit, le peuple kanak est un peuple très ritualisé et lorsque l'on est accueilli dans une tribu, il est de mise de respecter le geste coutumier. Il s'agit de se présenter et de formuler sa requête avec respect au chef ou à celui qui nous accueille, accompagné de quelques offrandes : généralement un manou (un morceau d'étoffe semblable à un paréo) et un peu d'argent. Edouard reçoit notre coutume avec chaleur et jovialité, et nous nous rendons vite compte qu'il est un hôte de marque et nous accueille comme des rois dans sa petite maison faite de peu de choses.
En quelque mots : Edouard, ou Boue dans sa langue, est un kanak en fin de soixantaine. Il est né dans la tribu Gohapin, y a grandi avec toute sa famille élargie, s'y est trouvé une femme, y a eu une fille et deux petits fils. Retraité de son travail d'entretien des routes, il œuvre à son potager et est l'un des rares à s'être dévoué à l'accueil des touristes afin de leur faire découvrir avec fierté la tribu dans laquelle il a toujours vécu. Il vit avec peu mais partage volontiers tout ce qu'il a, notamment son savoir et ses anecdotes.
A peine arrivés, il nous emmène faire un tour dans sa tribu, nous présente le bâtiment communautaire sculpté, l'emplacement réservé à la cuisson du bougna (plat local cuit à l'étouffée dans un trou grâce à des pierres chaudes). Il nous montre aussi des fruits et des plantes et nous explique comment les préparer : le jacquier, son énorme fruit ultra sucré et ses graines bouillies ; la coco, son lait et sa chair rapée ; le café arabica et robusta qui pousse en bord de route à la manière d'une mauvaise herbe... Nous demandons à voir son potager et il est très fier de nous faire découvrir sa plantation d'ignames et de banane poingo. Il nous emmène aussi un peu plus loin dans la tribu, à la tombée de la nuit, pour assister à l'envol des roussettes, ces énormes chauve-souris très respectées des kanaks mais dont ils se repaissent en avril, seul mois où la loi les autorise à la chasser.
Nous l'invitons à manger avec nous quelques pommes de terre et un camembert cuits à la braise et partageons une bière autour du feu de camp, ce qui est l'occasion d'écouter les anecdotes sans fin qu'il narre à la manière d'un conteur aguerri. Le temps s'étire, on adore être là, et on profite au maximum de cette soirée -trop courte- que nous passons chez lui. Nous nous couchons finalement repus de découvertes et de générosité dans un cabanon qu'il nous laisse à disposition, sous un poster poussiéreux de Judy Foster. On est aux anges !


Edouard nous fait visiter la tribu

Les paysages autour de la tribu sont saisissants

Le lendemain nous laissons de côté cette parenthèse culturelle et humaine magique, et reprenons la descente de la côte Ouest. Nous nous arrêtons à Poé afin de suivre le sentier des Trois Baies qui, comme son nom l'indique, nous permet de longer trois jolies baies sous un soleil de plomb : celle de la Roche Percée, celle des Tortues puis celle des Amoureux. Les plages sont vraiment jolies, nichées au creux de leurs falaises et veillées par les hauts pins colonnaires (arbre symbolique de la NC).
Plus bas nous faisons un crochet par le cimetière néo-zélandais rendant hommage aux soldats kiwis ayant perdu la vie pendant la seconde guerre mondiale. C'est un lieu de mémoire paisible et bien entretenu. Nous sommes interloqués par l'âge des victimes mis en avant sur les pierres tombales : la majorité des conscrits étaient plus jeunes que nous lors de leur trépas et, parmi toutes les sépultures, on n'en dénombre qu'une poignée ayant atteint la trentaine... ça laisse pensif.
Nous visitons aussi le Fort Teremba aujourd'hui transformé en un musée très bien documenté sur l'histoire et la vie des bagnards envoyés en Calédonie lors de la colonisation.

Gaby, avec son jacque devant la fameuse Roche Percée


La source de Ploum, arrêt obligatoire pour remplir les bouteilles d'une eau fraîche

Gaby, avec son jacque devant la fameuse Roche Percée
Le Grand Sud est une région particulièrement déserte qui n'héberge que quelques tribus et une très vaste mine de nickel. Pendant que nous sillonnons ses routes, nos réserves de vivres commencent à sérieusement faire défaut : nous vivons depuis plusieurs jours grâce à un sac de pommes de terre que nous cuisons à la braise chaque soir, nous sommes donc rassérénés à l'idée d'atteindre Yaté pour pouvoir faire nos emplettes vitales. Comme à chaque fois, nous sommes surpris par la taille de la bourgade : Yaté est une très vaste commune (15e plus grande de France en superficie) mais très peu peuplée (un peu plus de 1700 habitants !). Au cœur du bourg en lui-même se jouxtent une église, une école, une coopérative, un snack (fermé) et un magasin chez l'habitant, point final. Le magasin sommaire nous permet de racheter quelques pommes de terre fripées... tant pis pour la diversité culinaire !!!
Nous profitons d'être dans le coin pour faire une jolie balade sur le sentier du barrage de Yaté offrant quelques très beaux points de vue sur la vallée encaissée de la rivière éponyme.
Ce soir-là, nous dormons dans Les Bois du Sud, un parc naturel, où l'on nous interdit de faire du feu pour parer aux risques d'incendie dûs à la sécheresse... Nous en revenons toujours à notre histoire de pommes de terre, mais n'ayant que celles-ci pour toute denrée alimentaire, nous attendons la tombée de la nuit et faisons notre feu en douce tel des voyoux de grands chemins ! Nous découvrons par la même occasion que ce camping ne dispose pas... d'eau potable. Damned ! Le Grand Sud est avare en victuailles de première nécessité !!! Cette fois ce sont nos voisins de faré qui nous sauvent en nous distribuant des pastilles de décontamination de l'eau. Il faut dire qu'un camping payant sans eau potable, on ne l'avait pas vu venir !
Pour notre dernier arrêt dans le Sud, nous passons la journée au Parc de la Grande Rivière Bleue où nous voulions vraiment faire un tour en kayak mais, n'ayant pas réservé, nous nous faisons rabrouer, alors nous nous rabattons sur des VTT afin de visiter une plus grande partie de ce très vaste parc. Disons le clairement, le vélo sous le soleil de plomb nous en fait baver (enfin surtout à Gaby) et on a une pensée émue pour celles qui traversent les Etats-Unis à la force des mollets ! Au cours de la journée nous avons la chance d'apercevoir deux cagous (l'oiseau symbole du pays... une sorte de kiwi calédonien !), un notou (le plus gros pigeon du monde), des fleurs exotiques, une forêt noyée, des kaoris au cœur de la forêt humide et le tout toujours sur fond de latérite. C'est beau, beau, beau ! Nous dénichons aussi un trou d'eau d'une limpidité incroyable où nous piquons une tête avant pédaler jusqu'à notre point de départ pour rendre leur liberté à nos petites reines.
Nous quittons ainsi le Grand Sud, gavés de paysages superbes, pour regagner l'appartement de Marie-Ange à Nouméa. Absente pour quelques jours elle nous a gentiment laissé ses clés à disposition afin d'y passer la nuit et de laisser quelques affaires chez elle, car ça y est, le moment est venu de fourrer nos penailles dans nos sacs, de se les hisser sur le dos et de remercier Tata Monique pour ses bons et loyaux services... nous partons en baroude sur les îles !
R&G


Un arbre fleuri de plantes carnivores !

... avant d'y déposer nos chères patates !



